L’ordinaire d’Adèle (essai)

Adèle Van Reethe, philosophe et chroniqueuse, notamment sur France Culture, a fait paraître aux éditions Gallimard le fruit de ses réflexions sur un thème généralement peu abordé en philosophie : la vie ordinaire.

Le drame, c’est l’eau tiède. La vie qui continue après la fin du film et dans laquelle il ne se passe rien. Les secondes qui se suivent et se ressemblent, d’année en année. On en reviendrait presque à la souhaiter, la fin, pour qu’enfin il se passe « quelque chose ». Interrompre le flux par tous les moyens, quitte à y laisser sa peau.

La vie ordinaire, Adèle Van Reeth, Gallimard, 2020.

Même en déployant des trésors d’imagination pour faire de notre quotidien un terrain de jeu imprévisible et passionnant, nous n’échapperons pas à l’écoulement des secondes ni aux stratagèmes que nous mettons en place pour nous donner l’illusion de garder la main.

Idem.

C’est étonnant la facilité avec laquelle nous adoptons insensiblement une route et nous faisons à nous-mêmes un sentier battu.

David Thoreau, Walden, cité dans La vie ordinaire, Adèle Van Reeth, Gallimard, 2020.

La vie ordinaire est une vie de faux-cul. On fait comme si c’était « déjà ça » de vivre « tranquillement ». Comme si on ne voulait pas d’aventure (…) Sauf que la plupart du temps, on n’y arrive pas. Mieux vaut se l’avouer : puisque l’existence humaine est à la fois provisoire et continue, puisque rien ne dure mais que le temps ne se retient pas, la tranquillité n’est pas de ce monde. Et c’est tant mieux(…)

Posez-vous la question, au moins une fois sans regarder l’heure, et demandez-vous si le nombre d’années parcourues, les épreuves et les angoisses endurées, si vous avez vécu tout ça pour vous réfugier dans la mauvaise foi de l’émerveillement ordinaire, pour vous laisser vivoter du matin au soir, sans envie, sans projet autre que de partager avec les autres les faits qui composent votre journée, sans jamais aller fouiller en dessous, remuer la vase qui encrasse vos désirs et vous fait croire qu’être quelqu’un c’est peser lourd, s’accrocher aux horaires comme si la vie en dépendait, compter le nombre d’heures jusqu’au prochain repas (…)

La vie ordinaire, Adèle Van Reeth, Gallimard, 2020.

Films 1964 (cinéma)

De 1964 à 1969, les films qui m'ont marqué, intéressé, amusé, impressionné, ému, bouleversé... enfin, parmi ceux que j'ai vus. Sans aucune hiérarchie.
  • 8 1/2 (mai 1963) Federico Fellini
  • Le Guépard (juin 1963) Luchino Visconti
  • Le Mépris (décembre 1963) Jean-Luc Godard
  • Docteur Folamour (1964) Stanley Kubrick
  • L’Homme de Rio (1964) Philippe De Broca
  • Mariage à l’italienne (1964) Vittorio De Sica
  • Répulsion (1965) Roman Polanski
  • Cul-de-sac (1966) Roman Polanski
  • La Grande Vadrouille (1966) Gérard Oury
  • Persona (1966) Ingmar Bergman
  • Belle de jour (1967) Luis Bunuel
  • Bonnie and Clyde (1967) Arthur Penn
  • Le Livre de la jungle (1967) Walt Disney
  • 2001, l’Odyssée de l’Espace (1968) Stanley Kubrick
  • Il était une fois dans l’Ouest (1968) Sergio Leone
  • Rosemary’s Baby (1968) Roman Polanski
  • The Party (1968) Blake Edwards
  • La Femme infidèle (1969) Claude Chabrol
  • L’Armée des Ombres (1969) Jean-Pierre Melville
  • Macadam Cowboy (1969) John Schlesinger

Le racisme d’Alan Parker (cinéma)

Le cinéaste Alan Parker est décédé le 31 juillet dernier à l’âge de 76 ans. Il venait de la publicité, comme ses compatriotes Ridley Scott, Tony Scott ou Hugh Hudson, et s’était rendu célèbre dès la fin des années 70 avec Midnight Express, un film devenu culte, pourtant authentiquement raciste.

Inspiré de l’histoire de William Hayes, Midnight Express raconte, en prenant beaucoup de liberté avec la réalité des faits, la tragique mésaventure d’un jeune américain emprisonné en Turquie, jugé d’abord pour possession puis pour trafic de drogue.

Aujourd’hui, en renvoyant le film, au-delà de son esthétique tape-à-l’œil, de sa psychologique simpliste ou de son sensationnalisme publicitaire, on reste abasourdi par la manière de décrire, bien au-delà de son régime politique et carcéral éminemment contestable, l’ensemble de la société turque, de ses mœurs, de ses habitudes, de ses croyances religieuses. Istanbul y est décrit comme un cloaque. Aidé dans son entreprise par Oliver Stone, son scénariste de l’époque, Alan Parker filme les Turcs comme autant de barbares. Brutaux , sales et ignorants.

Le racisme de Midnight Express sera à l’origine de tensions diplomatiques et contribuera à une sensible baisse de fréquentation des touristes occidentaux en Turquie. Il sera néanmoins sélectionné au Festival de Cannes, remportera 4 Bafta britanniques, 6 Golden Globes et 2 Oscars. Ce qui semble parfaitement inimaginable aujourd’hui…

Invité à plusieurs reprises à s’expliquer, Alan Parker refusera toujours de s’excuser, à l’inverse de William Hayes qui se désolidarisera de la manière dont est représentée la Turquie dans le film.

Au moment où certains déboulonnent des statues de Christophe Colomb, où d’autres voudraient interdire toute nouvelle diffusion de Autant en emporte le vent, où d’autres encore changent le titre d’un roman d’Agatha Christie, en ces heures où la moindre velléité à l’égard de la politique d’Israël se voit taxée d’antisémitisme, bref en ces temps où l’indispensable respect de chaque communauté humaine conduit parfois jusqu’à l’absurde, il est surprenant de constater que la disparition d’Alan Parker n’ait guère suscité le débat qu’elle méritait au sujet d’un film dont son auteur et son scénariste faisaient dire à leur personnage principal : « Pour une nation de porcs, c’est drôle que personne chez vous n’en consomme(…) Je hais les Turcs, je hais votre nation, je hais votre peuple, et je baise vos fils et vos filles, parce que ce sont des porcs. Vous êtes des porcs. Tous des porcs. »

Films 1970 (cinéma)

De 1970 à 1979, les films qui m'ont marqué, intéressé, amusé, impressionné, ému, bouleversé... enfin, parmi ceux que j'ai vus. Sans aucune hiérarchie.
  • Les Choses de la vie (1970) Claude Sautet
  • Little Big Man (1971) Arthur Penn
  • Mort à Venise (1971) Luchino Visconti
  • Orange Mécanique (1971) Stanley Kubrick
  • Délivrance (1972) John Boorman
  • Fellini-Roma (1972) Federico Fellini
  • Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) Luis Bunuel
  • Le Dernier Tango à Paris (1972) Bernardo Bertollucci
  • Le Parrain (1972) Francis Ford Coppola
  • Nous ne vieillirons pas ensemble (1972) Maurice Pialat
  • Amarcord (1973) Federico Fellini
  • Badlands (1973) Terrence Malick
  • La Grande Bouffe (1973) Marco Ferreri
  • La Nuit américaine (1973) François Truffaut
  • Les Noces rouges (1973) Claude Chabrol
  • Mean Streets (1973) Martin Scorsese
  • Chinatown (1974) Roman Polanski
  • Le Parrain II (1974) Francis Ford Coppola
  • Stavisky (1974) Alain Resnais
  • Une femme sous influence (1974) John Cassavetes
  • Barry Lyndon (1975) Stanley Kubrick
  • Sacré Graal (1975) The Monty Python
  • 1900 (1976) Bernardo Bertollucci
  • Affreux, sales et méchants (1976) Ettore Scola
  • Annie Hall (1976) Woody Allen
  • Eraserhead (1976) David Lynch
  • Le Juge et l’Assassin (1976) Bertrand Tavernier
  • Le Locataire (1976) Roman Polanski
  • M. Klein (1976) Joseph Losey
  • Taxi Driver (1976) Martin Scorsese
  • Vol au-dessus d’un nid de coucou (1976) Milos Forman
  • L’argent de poche (1977) François Truffaut
  • L’homme qui aimait les femmes (1977) François Truffaut
  • Une journée particulière (1977) Ettore Scola
  • The Deer Hunter (1978) Michael Cimino
  • Violette Nozière (1978) Claude Chabrol
  • Apocalypse Now (1979) Francis Ford Coppola
  • Buffet froid (1979) Bertrand Blier
  • Days of Heaven (1979) Terrence Malick
  • Les Bronzés font du ski (1979) Patrice Leconte
  • Manhattan (1979) Woody Allen
  • Tess (1979) Roman Polanski

Elon Musk et son monde de demain (le nôtre ?)

Elon Musk, patron de Tesla et SpaceX, a prénommé son fils, né le 5 mai dernier, X Æ A-XII. Un prénom qui cache un mystère.

Il s’agit d’un message adressé à la divinité que révère Elon Musk, l’intelligence artificielle (Æ, réinterprété selon la graphie « elfique » du mot chinois ai qui signifie « amour »), à qui il demande que la fusée de sa société (Space)X, batte, comme le A-12 (l’avion Lockheed A-12 ayant battu des records dans les années 60), les records de vitesse et d’endurance lors de son vol, imminent au moment de la naissance de l’enfant.

Tobie Nathan in Philosophie Magazine, août 2020.

Propos (derniers ?) d’Alain (essai)

Le philosophe Alain Finkielkraut a éprouvé le besoin au soir de son existence de rassembler l’essentiel de sa pensée dans un livre (le dernier ?) dont la brièveté n’entame rien à la pertinence de certaines de ses idées.

« Si, sans que rien ne les prédisposât, ils sont devenus conservateurs, ce n’est pas qu’ils tiendraient en vieillissant toute nouveauté pour néfaste, ce n’est pas non plus au sens où ils auraient piteusement rallié le parti de l’Ordre et de la défense des privilèges, c’est parce qu’ils refusent de voir disparaître leur milieu nourricier et d’être déracinés sur place. On se trompe quand on affirme, avec gourmandise ou avec dégoût, qu’ils sont passés à droite. La vérité est qu’ils s’inquiètent pour la survie de la communauté historique où prend sens et peut se déployer la grande querelle de la droite et de la gauche. »

Alain Finkielkraut, A la première personne, Gallimard, 2019.

Films 1980

De 1980 à 1989, les films qui m'ont marqué, intéressé, amusé, impressionné, ému, bouleversé... enfin, parmi ceux que j'ai vus. Sans aucune hiérarchie.
  • Elephant Man (1980) David Lynch
  • Heaven’s Gate (1980) Michael Cimino
  • Mon Oncle d’Amérique (1980) Alain Resnais
  • Raging Bull (1980) Martin Scorsese
  • Shining (1980) Stanley Kubrick
  • Coup de Torchon (1981) Bertrand Tavernier
  • Reds (1981) Warren Beatty
  • E.T. l’extra-terrestre (1982) Steven Spielberg
  • Fanny et Alexandre (1982) Ingmar Bergman
  • Le Père Noël est une ordure (1982) Jean-Marie Poiré
  • A nos amours (1983) Maurice Pialat
  • E la nave va (1983) Federico Fellini
  • Furyo (1983) Naghisa Oshima
  • La Ballade de Narayama (1983) Shohei Immamura
  • Rumble Fish (1983) Francis Ford Coppola
  • Scarface (1983) Brian De Palma
  • Zelig (1983) Woody Allen
  • Amadeus (1984) Milos Forman
  • Il était une fois en Amérique (1984) Sergio Leone
  • Paris, Texas (1984) Wim Wenders
  • Top Secret (1984) Jim Abrahams & Jerry Zucker
  • Brazil (1985) Terry Gilliam
  • L’Année du dragon (1985) Michael Cimino
  • Ran (1985) Akira Kurosawa
  • Blue Velvet (1986) David Lynch
  • Hannah et ses soeurs (1986) Woody Allen
  • La Mouche (1986) David Cronenberg
  • Mauvais sang (1986) Leos Carax
  • Full Metal Jacket (1987) Stanley Kubrick
  • Le Dernier empereur (1987) Bernardo Bertollucci
  • Bird (1988) Clint Eastwood
  • Faux-semblants (1988) David Cronenberg
  • Une affaire de femmes (1988) Claude Chabrol
  • Crimes et Délits (1989) Woody Allen
  • Do The Right Thing (1989) Spike Lee
  • Le Temps des Gitans (1989) Emir Kusturica

Films 1990

De 1990 à 1999, les films qui m'ont marqué, intéressé, amusé, impressionné, ému, bouleversé... enfin, parmi ceux que j'ai vus. Sans aucune hiérarchie.
  • Les Affranchis (1990) Martin Scorsese
  • Edward aux mains d’argent (1990) Tim Burton
  • Misery (1990) Rob Reiner
  • Barton Fink (1991) Joel & Ethan Coen
  • Epouses et concubines (1991) Zhang Yimou
  • Le Silence des agneaux (1991) Jonathan Demme
  • Le petit prince a dit (1992) Christine Pascal
  • Unforgiven (1992) Clint Eastwood
  • La leçon de piano (1993) Jane Campion
  • Short Cuts (1993) Robert Altman
  • Pulp Fiction (1994) Quentin Tarantino
  • Casino (1995) Martin Scorsese
  • Dead Man Walking (1995) Tim Robins
  • Heat (1995) Michael Mann
  • Kids (1995) Larry Clark
  • Seven (1995) David Fincher
  • Sur la route de Madison (1995) Clint Eastwood
  • Toy Story (1995) John Lasseter
  • Underground (1995) Emir Kusturica
  • Usual Suspects (1995) Bryan Singer
  • Fargo (1996) Joel & Ethan Coen
  • Romeo + Juliette (1996) Baz Luhrmann
  • Funny Games (1997) Michael Haneke
  • L.A. Confidential (1997) Curtis Hanson
  • Lost Highway (1997) David Lynch
  • Festen (1998) Thomas Vinterberg
  • Le Dîner de cons (1998) Francis Veber
  • The Big Lebowski (1998) Joel & Ethan Coen
  • The Thin Red Line (1998) Terrence Malick
  • American Beauty (1999) Sam Mendes
  • Magnolia (1999) Paul Thomas Anderson

Sur le Covid-19 et la pensée positive

« Toute notre économie de pensée, et même notre économie tout court, est hantée par le négatif mais obnubilée par son dépassement. Il s’agit toujours de rendre la perte invisible. D’où la sidération dans laquelle nous a plongé la pandémie de Covid-19 : d’un seul coup, la mort est redevenue visible. Même s’il s’agissait d’une visibilité ambiguë, masquée sous le décompte statistique des décès, elle a remis la mort dans notre horizon, alors que depuis longtemps les victimes civiles des guerres au loin, la mort des pauvres dans nos rues ou des migrants dans la Méditerranée ne nous impressionnaient plus. Mais je crains qu’au lieu de penser notre nouvelle vulnérabilité, on travaille à se donner l’illusion d’une invulnérabilité absolue. »

Vincent Delecroix in Philosophie magazine, juillet 2020.