Je me suis trompé (3)

Toute ma vie, je me suis trompé. Je me suis trompé sur presque tout. Sur Dieu, sur le monde idéal, sur l’amour, sur la liberté…

Je me suis trompé sur l’amour. Mais qui ne s’est pas trompé sur l’amour ? Comment ne pas se tromper quand la confusion emporte notre jugement, quand notre jeunesse se consume dans le brasier des sentiments les plus neufs, les plus mêlés, les plus contradictoires, les plus bouleversants ? Comment s’y retrouver entre l’élan fusionnel tout entier dirigé vers l’autre et le retour aveuglant sur soi ? Entre le partage et le mensonge ? La fusion et l’intérêt ? Le donné et le pris ? Le bonheur et le plaisir ? La fascination et le désir ? Entre mon aimée et mon sexe ?

Je me suis trompé parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. Parce que l’amour, au fond, personne ne sait vraiment ce que c’est. Tant d’écrivains, tant de philosophes, tant de moralistes, tant de libertaires, tant de génies, tant de poètes, tant d’hommes petits ou grands sur ses secrets se sont cassés les dents. Parfois même jusqu’à douter de son existence. « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour, disait La Rochefoucauld dans ses Maximes au 17è siècle. » Et le moraliste d’ajouter : « Il est difficile de définir l’amour. Ce qu’on peut en dire est que dans l’âme c’est une passion de régner, dans les esprits c’est une sympathie et dans le corps ce n’est qu’une envie cachée et délicate de posséder ce que l’on aime après beaucoup de mystères. » J’ai fait moi-même beaucoup de mystères dans mes jeunes années, influencé que j’étais, que je ne pouvais qu’être, par mon époque, laquelle s’habille encore aujourd’hui, après certes avoir ôté de lourds corsets, d’une parure romantique confectionnée dès le 19è siècle. J’ai fait grand mystère, en effet, j’ai fait de grandes déclarations, aussi sincères que naïves, aussi honnêtes que ma jeunesse l’exigeait. Sans doute, ces déclarations enflammées s’adressaient-elles davantage à l’Amour lui-même, à l’idée que je m’en faisais, à la conception qu’on m’en avait apprise, plutôt qu’à son objet. Sans doute. Peut-être…

Aujourd’hui, je ne puis que constater, tel un aveu, que l’enthousiasme débridé et la recherche d’absolu qui m’animaient alors n’ont guère résisté aux casseroles de désirs que ma vie a traîné tout au long de ces années. Et que « l’encre des billets doux, comme disait Brassens, pâlit entre les feuillets des livres de cuisine ».

Alors, qu’est-ce que que l’amour ? Je n’en sais toujours rien. Mais j’ai en revanche la conviction qu’il ressemble davantage à ce qui demeure, à ce qui ne meurt et n’a fait que se renforcer entre elle et moi : ce lien indéfectiblement tissé ensemble sur le long et inéluctable chemin de l’existence.

Sur les lockdown parties

A tous ceux qui s’envoient en l’air à deux pas des mouroirs haletants :

« La course au profit est doublée par la course aux orgies mais il s’agit toujours de course et d’accumulation, c’est-à-dire de challenge, c’est-à-dire encore une fois de croissance, c’est-à-dire de nihilisme festif et d’érection fébrile du principe de plaisir contre la Loi et le réel, donc d’infantilisme gavé de sa toute-puissance postiche. »

Festivus festivus, Philippe Muray, Flamarion, 2008.