Le roman de Vladimir

Le portrait d’un Poutine de fiction… sans doute plus vrai que nature. Giuliano Da Empoli, ancien conseiller politique de premier plan en Italie, nous fait bénéficier de son expérience du milieu en dessinant la galaxie de personnages qui tournent autour de l’astre Poutine. Tous sont réels, morts ou vivants. Seules les situations qui les relient sont inventées par l’auteur. C’est passionnant de bout en bout. Avec un constat en guise de prospective qui fait froid dans le dos…

Il faudrait toujours regarder l’origine des choses. Toutes les technologies qui ont fait irruption dans nos vies ces dernières années ont une origine militaire. Les ordinateurs ont été développés pendant la Deuxième Guerre Mondiale pour déchiffrer les codes ennemis. Internet comme moyen de communication en cas de guerre nucléaire, le GPS pour localiser les unités de combat, et ainsi de suite. Ce sont toutes des technologies de contrôle conçues pour asservir, pas pour rendre libre. Seule une bande de Californiens défoncés au LSD pouvait être assez débile pour imaginer qu’un instrument inventé par des militaires se transformerait en outil d’émancipation. Et ils ont été nombreux à la croire.

Mais c’est clair maintenant, n’est-ce pas ? Vous le voyez vous-même. La vérité, c’est que la technologie militaire qui nous entoure a créé les conditions pour l’émergence d’une mobilisation totale. Désormais, où que nous nous trouvions, nous pouvons être identifiés, rappelés à l’ordre, neutralisés si nécessaire. L’individu solitaire, le libre arbitre, la démocratie sont devenus obsolètes : la multiplication des données a fait de l’humanité un seul système nerveux, un mécanisme fait de configurations standards prévisible comme une nuée d’oiseaux ou un banc de poissons (…)

Le KGB avait projeté dans les années cinquante un système pour ficher toutes les relations de chaque citoyen soviétique. Mais Facebook est allé beaucoup plus loin. Les Californiens ont dépassé tous les rêves des vieux bureaucrates soviétiques (…)

Quand le prochain virus sortira d’un marché ou d’un laboratoire, quand Seattle, Hambourg ou Yokohama seront rasés par une bombe atomique sale ou par une attaque bactériologique, quand un simple petit garçon en proie au mal de vivre, au lieu d’ouvrir le feu sur sa classe, sera capable d’anéantir une ville, l’humanité entière ne demandera plus qu’une chose : être protégée (…)

Ce jour-là, le monde sera prêt pour l’avènement du Bienfaiteur de Zamiatine : celui qui veillera à ce que plus rien n’arrive. La machine aura rendu possible le pouvoir absolu. Un seul homme pourra alors dominer l’humanité entière. Et ce sera un individu quelconque, sans talent particulier, parce que le pouvoir ne résidera plus dans l’homme mais dans la machine, et un homme, choisi au hasard, pourra la faire fonctionner.