Le rêve américain de Sergio Leone

On vient de fêter récemment les quarante ans de la sortie en salle de Il était une fois en Amérique, le dernier film de Sergio Léone (il est décédé quelque temps après) qui met en scène la trajectoire d’une bande de gangsters d’origine juive à New York. Pendant près de quatre heure, Leone nous raconte leur ascension et leur chute à trois moments de leur existence : leur enfance et adolescence dans les années 20, l’âge adulte au temps de la prohibition et la vieillesse à la fin des année 60.

Enfance pauvre dans le quartier juif du East End newyorkais, amitiés naissantes, pacte scellé entre cinq gamins de la rue, adolescence délinquante, braquages en tous genres, enrichissement, meurtres, prison, amours contrariées, speakeasy et fumerie d’opium, rêve avorté et finalement trahisons… A travers le destin de cinq personnages (puis quatre, l’un tombant en bas âge sous les balles d’un rival), Leone nous raconte rien de moins que son rêve d’Amérique. Sa structure narrative est complexe, digne des madeleines de Proust. Le temps retrouvé s’y déploie comme un lumineux refuge, dans les noirceurs d’une fin de vie dépouillée de ses illusions de jeunesse. Le regard de Robert De Niro n’a jamais été aussi nostalgique. Et la musique d’Ennio Morricone vous souffle au cœur les images du film pour une toute une vie de spectateur.

En 1984, lorsque le film est sorti, j’avais très exactement 20 ans. Je me gavais de séances de cinéma en tous genres. Je voyais des films pour lesquels je ne me déplacerais plus aujourd’hui, dont j’ai même oublié jusqu’au titre. Mais je n’oublierai jamais Il était une fois en Amérique. C’est un des quatre ou cinq films de ma vie.

A l’occasion de ce quarantième anniversaire, les éditions Sonatine ont judicieusement publié la première traduction française de The Hoods, le roman de Harry Grey dont s’est inspiré Leone pour réaliser son œuvre monumentale.

Et à découvrir le roman dont il est tiré, on ne peut être qu’étonné. Etonné par ce que Leone a fait de ce gros roman sans importance, certes pièce à conviction d’une époque, celle des gangsters de la Prohibition, dont il témoigne de la violence avec beaucoup de réalisme, mais dépourvu du moindre intérêt littéraire et encore moins du souffle lyrique que lui conférera le réalisateur. D’ailleurs, Leone n’a presque rien retenu du bouquin. Il n’en garde que le squelette narratif. Dépouille la trame de presque toutes ses péripéties. En invente d’autres. Et crée un mythe là où il n’y avait qu’une accumulation de faits et de dialogues réalistes.

Comme l’a écrit Jean-Baptiste Toret dans son essai paru aux Cahiers du Cinéma, « Sergio Leone n’a cessé de fantasmer une Amérique mythologique, cinématographique et universelle qui, au fond, n’a jamais existé ailleurs que dans les yeux éblouis du gamin du Trastevere romain. Il était une fois en Amérique raconte cette désillusion ».

« L’Amérique a été le premier amour des Italiens qui ont grandi dans les années 30, déclarait le cinéaste. On oublie jamais un premier amour, même si le point de vue change considérablement par la suite ».

Vision d’une Amérique fantasmée. Souvenir d’un cinéma qui n’existe plus, celui des grands studios, que Léone ébloui découvrait gamin à la sortie de la guerre. Fresque de l’existence, parcourant le long chemin d’un temps révélateur de tout ce qui a été perdu. Et que n’aurait pas renié l’auteur de Gatsby le Magnifique, Francis Scott Fitzgerald : « Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé ».