Leçons de vie

Il y a des livres qu’on aimerait avoir écrits. Des romans qui nous marquent au point de jalouser ceux qui en sont les auteurs, de les considérer, pour les avoir sentis si proches de notre expérience de vie, si pertinents à l’exprimer, comme des moments de lecture d’exception et de révélation à jamais inscrits dans notre mémoire. Il y a de ces romans qui ressemblent tant à ce que nous nous faisons comme idée de l’existence. Pour ma part, pour n’en citer que quelques-uns parmi les vingt ou trente dernières années, je resterai ébloui jusqu’à mes derniers jours par la lecture de La Tache de Philip Roth, de La Route de Cormac McCarty ou encore d’Une Vie française de Jean-Paul Dubois. Et désormais, ce sera le cas aussi pour Leçons de Ian McEwan.

Il y a tout dans ce roman. La petite histoire et la grande Histoire. L’histoire d’un homme, Roland Baines, des gens qui ont marqué sa vie, et l’Histoire du monde depuis la deuxième guerre mondiale. Il y a le désir précoce d’un adolescent pour une professeure de piano qui va le corrompre. Il y a le désespoir d’un adulte qui voit sa femme, Alissa quitter mari et enfant pour s’en aller vivre sa vie d’écrivaine. Il y a l’espoir né de la chute du Mur de Berlin et le monde dans lequel nous vivons désormais, celui de la désintégration européenne marquée notamment par le Brexit (rappelons que McEwan est anglais), du retour des nationalismes, de l’hyper-capitalisme, des inégalités galopantes, de la pandémie, des crises économiques, de la guerre et du péril nucléaire. Il y a l’histoire d’un homme sans grandes qualités, joueur de tennis et poète sans envergure, qui préfèrera sa vie famille à la grande aventure littéraire que connaîtra sa femme, écrivaine renommée, pour laquelle elle sacrifiera tout.

Il y a tant de choses dans ce roman. La vitalité et les affres de l’engagement, artistique ou politique, la relativité de la morale, le sentiment d’être passé à côté de sa vie, la désillusion face à un monde qu’on a cru pouvoir être meilleur et qui s’écroule. Il y a tant de choses qui ressemblent à nos vies. Tant de choses qui font un grand, un très grand roman.