Zeus’ Family (1) : Hadès et Déméter

Zeus a distribué à chacun des membres éminents de sa famille un rôle très particulier. De quoi dresser quelques portraits choisis…

Hadès aux enfers

Seigneur de la mort, Hadès exerce son pouvoir sur le terrible royaume sous-terrain des enfers. Tous les mortels s’y rendent un jour, en aller simple, pour un dernier voyage aux clichés inoubliables : au bord des eaux noires du Styx, on embarque sur le frêle esquif de Charon (un passeur à l’ancienne, hideux vieillard genre Monty Python qui vous réclame de l’argent) jusqu’aux fameuses portes de l’enfer gardées par un immense pitbull à trois têtes, Cerbère, qui vous arrache la cervelle au cas où vous auriez la mauvaise idée de faire marche arrière. C’est clair, on n’est pas à Dubaï.

Sur cette ultime destination de vacances, Hadès, fils de Cronos et de Rhéa, frère de Zeus, règne donc sans partage. A l’insu de son plein gré. Car jamais, ô grand jamais, il ne l’a souhaité. C’est Zeus qui en a décidé ainsi : à lui le monde céleste et le monde des hommes, à Poséidon le monde marin, et à Hadès le reste, les enfers, les miettes dont personne dans la famille ne voulait.

Forcément, ce roi malgré lui, solitaire et redouté, s’ennuie comme un rat mort là où jamais ne brille le soleil. Il lui arrive alors d’aller se promener en surface, histoire de se distraire et de respirer autre chose que la puanteur des cadavres. C’est ainsi qu’au détour d’une ballade champêtre, il va rencontrer Perséphone, ravissante jeune fille qui n’est autre que la propre fillotte de Zeus et de sa sœur Déméter (déesse incestueuse de l’agriculture). Coup de foudre immédiat ! Et coup de sang du prince des ténèbres : sans avoir obtenu l’accord de son frère, Hadès saute sur Perséphone, la kidnappe et l’emmène dans les profondeurs de la nuit infernale. Embrouilles en perspective…

Déméter en hiver

Sans nouvelles de sa fille, au bout de neuf jours et neuf nuits de recherches, Déméter finit par apprendre le nom du coupable. Au conseil de l’Olympe, elle exige d’Hadès qu’il lui rende sa fille. Mais il refuse. Déméter quitte alors l’Olympe en jurant qu’elle n’y reviendra plus et que la terre, dont elle assure la fertilité, restera stérile jusqu’à ce que la pucelle lui soit rendue.

Et Déméter tient parole : du jour au lendemain, c’est la sécheresse et la famine sur la terre. La race des hommes est ainsi menacée d’extinction. Zeus multiplie alors les tentatives pour convaincre Déméter de changer d’avis. Sans aucun succès. Il n’a donc plus d’autre option que de ramener son frère à la raison : il faut que Hadès libère Perséphone, sans quoi les Dieux sont perdus car il n’y aura plus aucun homme pour croire en eux et leur rendre hommage (comme quoi, sans les hommes, il n’y a point de dieux qui vaillent). Hadès finit par accepter.

Tout est bien qui finit bien ? Eh bien pas du tout ! Car il s’avère que Perséphone a commis l’irréparable : elle a mangé en enfer. Oh, pas grand chose : sept minuscules grains d’une grenade (végane sans doute, la Persé). Mais c’est déjà beaucoup trop car la loi l’interdit : elle oblige en effet celui qui a mangé la nourriture des morts de rester au royaume des morts. Et nul, même Zeus, ne peut enfreindre la loi.

Apprenant la nouvelle, Déméter tombe en profonde dépression. Sans rien changer pour autant à sa décision. La famine s’étend, ravage l’ensemble de la terre. Ne sachant plus à quel sein se vouer, Zeus s’en remet à sa mère, Rhéa. Qui va mener des négociations entre ses trois enfants : Zeus, Hadès et Déméter. Négociations au terme desquelles un accord est trouvé : Perséphone passera l’hiver aux enfers en compagnie de Hadès et le reste du temps à l’air libre auprès de Déméter. Ingénieux principe de la garde alternée (pas fréquent à l’époque) par lequel les Grecs expliquent pourquoi, lorsque Déméter et Perséphone sont séparées en période hivernale, plus rien ne pousse et tout se glace. Déméter alors s’exile et la nature se met en attente du retour de Perséphone. Avouez que la venue du printemps n’en paraît que plus belle.

Perséphone devient donc la reine des enfers et forme, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, un couple fort heureux avec Hadès. On aurait d’ailleurs tort de considérer ce roi malgré lui comme un monstre sans cœur. La preuve avec Orphée, le plus célèbre des poètes et des musiciens, qui par la seule grâce de sa lyre et de sa voix est parvenu à réaliser l’impossible, à savoir se frayer un chemin, alors qu’il n’est pas encore mort, jusqu’aux enfers. Il est l’unique mortel à avoir accompli cet exploit. Mais pourquoi diable a-t-il fait cela ? Mais par amour parbleu ! Par amour pour sa femme Eurydice. Fou de douleur face à sa mort, Orphée veut la retrouver à tout prix. Il va jusqu’aux enfers pour convaincre Hadès et Perséphone, « en jouant de sa corde sensible », de lui rendre sa bien aimée. Et de rappeler au seigneur de la mort les sentiments qui furent les siens lorsqu’il rencontra celle qui désormais partage sa vie et la douleur qui l’accabla lorsqu’il en fut séparé. Attendri, Hadès accepte qu’Orphée ramène Eurydice sur terre, mais à une condition : de ne jamais se retourner avant d’avoir atteint la surface. Sans quoi, Orphée aura perdu Eurydice à tout jamais…

Hadès n’est donc pas, seulement, ce dieu que tous les mortels craignent. Il est capable d’aimer et de succomber à la beauté. La mort elle-même, pour les Grecs, n’est d’ailleurs pas la pire des choses. Pour eux, le fond de l’abîme, c’est l’oubli.