Ulysse. L’aventure humaine (1)

Troie a été détruite. Ses habitants ont été massacrés. Et les Dieux, devant un tel déchaînement de fureur, l’ont très mauvaise (alors qu’en réalité, ils en sont les premiers responsables). Ils veulent désormais faire payer tous ces crimes à des Grecs qui se sont crus affranchis de leur autorité. Bref, ils veulent les remettre à leur place.

Ainsi Ulysse, roi d’Ithaque, et Agamemnon, roi d’Argos, désireux plus que jamais de rentrer chez eux après dix ans de guerre, vont bientôt devoir affronter la colère des dieux. Les vents, les orages, les tempêtes vont se déchaîner sur le chemin du retour. Rares d’ailleurs seront les Grecs qui pourront rentrer vivants au bercail. Agamemnon, bien qu’il y parvienne, succombera au piège de sa femme infidèle, Clytemnestre (la sœur d’Hélène). Quant à Ulysse, il va se retrouver complètement isolé avec sa flottille…

Ulysse débarque d’abord en Thrace, chez les Cicones. Il s’empare de leur ville, pille ses habitants et tue la plupart d’entre eux. Mais ses hommes découvrent le vin, grande spécialité de la région… et se torchent impunément le goulot ! C’est ce qui coûtera la vie à plusieurs d’entre ces boit-sans-soif, ivres morts et incapables de se défendre face aux Cicones des campagnes venus venger leurs martyres de la cité. Ulysse, lui, s’échappe, reprend le bateau et fuit avec le reste de ses hommes.

Commence alors un voyage extraordinaire. Un voyage chanté par Homère dans l’Odyssée. Ni plus ni moins que la plus formidable aventure humaine jamais contée.

Le long voyage d’Ulysse à travers la Méditerranée

Au pays de l’oubli

Au départ d’Ismaros en Thrace, arrivé presqu’au terme de son chemin de retour, Ulysse aperçoit sa terre : l’île d’Ithaque. A peine le temps de s’en réjouir… qu’une incroyable tempête le surprend, lui et ses hommes ! Une tempête qui va durer sept jours et sept nuits et qui va transporter toute la flottille d’Ulysse loin, très loin de chez lui. Dans un monde qui lui est totalement inconnu, un espace de non humanité, une odyssée vers un ailleurs.

Ils accostent une terre qu’ils ne connaissent pas (il semblerait que ce soit l’île de Djerba, en tous cas non loin de là, au large oriental de la Tunisie actuelle). Prudent (il le sera presque toujours, lui qui se distingue avant tout par sa ruse), Ulysse envoie des éclaireurs afin d’explorer les lieux. Ceux-ci sont très agréablement reçus par les habitants, les Lotophages. En toute confiance, les quelques éclaireurs acceptent de manger la spécialité locale, le Lotos, des fleurs de Lotus. Une plante exquise certes, mais qui a une très fâcheuse particularité : l’humain qui en mange oublie tout, absolument tout, qui il est, d’où il vient, où il va, pourquoi il est là…

Complètement anesthésiés, la mémoire en vadrouille, les éclaireurs d’Ulysse sont transformés en authentique junkie peace and love, comme en plein trip à Woodstock. Ils sont « tellement bien » qu’ils refusent désormais de quitter les lieux. Averti de leur délire, Ulysse les retrouve, leur flanque un bon coup de pied au cul et les ramène aux bateaux.

Ce passage au pays de l’oubli jusqu’au bout hantera le très long voyage d’Ulysse. Qui devra sans cesse affronter l’une des plus grandes menaces de son odyssée : oublier d’où il vient, oublier qui il est, oublier qu’il doit rentrer.

Le monde des humains est celui où on voit les autres et où on est vu par eux, où on se souvient de soi et des autres. C’est un monde de la mémoire. Dans cet autre monde où Ulysse progressivement s’enfonce, ce monde de non humanité, l’oubli menace en permanence.

Mon nom est Personne

Ulysse et ses hommes reprennent la route et abordent une nouvelle terre, en pleine obscurité (quelque part dans la baie de Naples). Avec quelques-uns de ses compagnons, Ulysse se réfugie dans une grotte. Ils y volent des victuailles stockées en grand nombre. L’endroit semble habité par une créature gigantesque. Après s’être nourri, au contraire de ses hommes qui veulent partir, jugeant le lieu beaucoup trop dangereux, Ulysse les enjoint à rester. Pourquoi ? Parce qu’il veut voir.

Ulysse n’est donc pas seulement celui qui veut se souvenir, c’est aussi celui qui veut voir, connaître, expérimenter tout ce que le monde peut offrir. Et il ne va pas le regretter… Car voilà que la créature se présente : c’est Polyphème, fils de Poséidon, un Cyclope gigantesque, effrayant, avec son œil unique et terrifiant. Il enferme Ulysse et ses hommes dans sa caverne. Six d’entre eux sont dévorés. Jouant de sa ruse, Ulysse tente de gagner du temps. Il se présente au monstre en lui disant qu’il se nomme « Personne ». En réalité, il use là d’un jeu de mot en grec ancien, entre « ruse » et « personne ». Ulysse est donc bien l’homme de la ruse, de l’intelligence, celui qui se tire d’affaire grâce à son cerveau, pas au moyen de ses muscles comme Achille.

Rivaliser avec le Cyclope ? Impossible. Ulysse lui offre alors un cadeau : des récipients du vin volé aux Cicones. Polyphème le goutte, l’apprécie plus qu’il n’en faut et en boit sans compter. Jusqu’à s’endormir. Moment choisi par Ulysse pour lui porter le coup fatal : à l’aide d’un pieu, lui et ses hommes rescapés crèvent l’œil unique du monstre. Ils se cachent ensuite sous des moutons pour échapper à la terrifiante colère de l’éborgné. Et s’empressent de reprendre leur bateau.

En partant, Ulysse commet toutefois une terrible erreur : fier du tour qu’il vient de jouer à son adversaire, gonflé d’orgueil, il lui crie son véritable nom. Averti par son fils, Poséidon réclame sa vengeance auprès de Zeus. Lequel promet qu’Ulysse ne rentrera chez lui qu’après avoir endurer mille souffrances. Poséidon, dieu des mers, conduira donc Ulysse jusqu’aux extrêmes limites des ténèbres et de la mort.