L’origine de l’Univers

Il faut bien un début. Un commencement à tout. Il faut bien résoudre le problème de l’origine, même si ça ne résout pas ce qu’il y avait avant l’origine… (Un Dieu, un seul ? Allons bon, soyons sérieux). Depuis les années 50, la plupart des physiciens s’accordent sur l’idée du Big Bang (géniale trouvaille d’un chanoine belge, même si en réalité on ignore encore aujourd’hui s’il y a réellement eu une origine). Le Big bang, c’est cette inaugurale et gigantesque explosion d’un noyau de matières concentrées en des proportions inimaginables. BOUM !.. Et la matière de se disperser dans l’univers ainsi promis à une expansion sans fin (enfin, sans fin, on n’en sait rien en fait). Une expansion dans un mouvement qu’on peut résumer d’un état d’ordre vers un état de désordre. Eh bien les Grecs, eux, pensaient radicalement le contraire : l’univers va du désordre, qu’ils nomment Chaos, à l’ordre (une fois que Zeus aura rangé sa chambre… On y reviendra).

Mais qu’est-ce que ce Chaos grec ? Un cloaque. Un trou noir gigantesque, une béance nocturne, un abîme aveugle et illimité. De ce puit sans fond va pourtant surgir quelque chose, Gaïa, la Terre-mère. Gaïa est le contraire de Chaos : elle est distincte, séparée, précise. Elle est le plancher du monde. Mais ce monde n’existe pas encore. Pour voir le jour, il a besoin d’une force, d’un mouvement, d’une poussée, comme n’importe quel brin d’herbe, afin de voir éclore ce qui demeurait obscurément en Gaïa. Et ce, sans qu’elle ait eu besoin de s’unir (la chrétienne immaculée conception en aurait-elle été inspirée ?) Cette poussée, c’est Eros. Attention, pas encore l’Eros qui unira les êtres lorsqu’ils seront séparés en genres. Non, le Vieil Eros, celui d’avant le masculin et le féminin (je vous parle d’un temps où cette différence ne posait pas question).

Chaos engendre donc Gaïa, et de Gaïa, sous la poussée d’Eros, surgira Ouranos, le Ciel étoilé. C’est le premier enfant de la Terre. Exactement son contraire. Elle est le plancher, il est le toit. Elle le dessous, lui le dessus, allongé sur elle en pareilles proportions. Le deuxième enfant sera Pontos, le Flot marin, lui aussi tout à fait contraire. Elle est solide, il est liquide.

Trois entités primordiales, deux autres enfantées… L’histoire du monde, désormais, peut commencer. Une histoire qui témoigne d’un besoin de nommer les choses, d’identifier le monde, donc de se l’approprier. Une histoire aussi qui atteste du désir de mettre de l’ordre dans l’univers, donc d’y apporter du sens. Une histoire enfin ultra géo-centrée, avec la terre en nombril du cosmos. Conception qui, il faut bien le reconnaître, jamais ne s’effacera totalement de nos orgueilleuses consciences humaines, même en dépit des multiples développements ultérieurs de nos connaissances scientifiques…

Le castrat

Chez les Grecs, point d’hypocrite bondieuserie, nulle pudibonderie monothéique. Le sexe ne se cache pas. Il est là, dès le début, partout, tout le temps. La preuve avec cet Ouranos, authentique obsédé sexuel, couché en permanence sur la Gaïa qu’il ne cesse de frénétiquement besogner. En ces temps primordiaux où le contraceptif n’est guère d’usage, la pauvre Gaïa se voit ainsi engrossée d’une véritable famille nombreuse dont elle ne sait que faire, à savoir enfanter, vu que le ciel, priapique avant l’heure, jamais de la terre ne se retire. Des enfants ? On ne les compte plus, l’embouteillage menace : six Titans et leurs six sœurs Titanes, trois Cyclopes (des géants pourvus d’un œil unique) et trois Hécatonchires (cinquante têtes et cent bras chacun). Bonjour la photo de famille !

Gaïa, elle, n’en peut plus. Elle étouffe. Marre de cet excité sans cesse vautré sur elle. Il faut que ça cesse ! Comment ? En faisant naître chez ses enfants, les Titans, le vent de la révolte et de la liberté. Mais tous craignent par trop leur père. Tous sauf un : le plus jeune, Cronos. Alors Gaïa s’en va fabriquer une serpe d’acier pour armer son jeune et valeureux gamin. Lequel, d’un coup d’un seul, tranche les paternelles parties génitales et les jette, par dessus son épaule droite, dans le Flot marin. Le Ciel, la bite sous le bras (enfin, même pas), hurlant de douleur, se retire enfin de l’objet de sa trop insistante convoitise, permet enfin à ses enfants de sortir du ventre de leur mère et s’en va se fixer tout en haut du monde, pour ne plus jamais en bouger.

De la sorte, en émasculant son père, Cronos « le couillu » crée à la fois l’espace (pour vivre et respirer) et le temps (les générations vont pouvoir se succéder). Ou comment une castration accouche de l’astrophysique.

La vie comme un mélange

Après, forcément, ça se complique. Les acteurs de cette histoire se multiplient. Gaïa n’est d’ailleurs pas la seule à « mettre bas ». Chaos fait pareil avec deux enfants : Erébos (Erèbe) et Nux (Nuit). Erébos, c’est le noir absolu. Adepte de la pureté de sa race, ce grincheux ne se mélange avec personne. Tout le contraire de Nux (ne dit-on pas que « la nuit appelle le jour »). Qui elle aussi a deux marmots : Aithêr (Ether), la lumière à l’état pur, et Hêmerê (Jour), la lumière du jour. Ether est le pendant d’Erèbe (lumière pure/obscurité pure). Ether est logée dans la partie la plus élevée du Ciel, l’Olympe, réservée aux Dieux, où jamais il ne fait nuit. Erèbe est tout en bas, dans le Tartare, monde souterrain où sont enfermés les Dieux vaincus et les morts, où jamais il ne fait jour. Hêmerê et Nux, le jour et la nuit, se croisent en permanence aux portes de la nuit, à l’entrée du Tartare. Ils se font signe (on dirait deux conducteurs de bus sur des trajets opposés) sans jamais se confondre.

Pureté de la lumière tout en haut, noirceur absolue tout en bas… et au milieu, les hommes, dans ce monde de l’entre-deux. Comme quoi, déjà chez les Grecs, c’est le mélange qui caractérise la vie des mortels. N’en déplaise, en notre époque rétrograde, aux excités des identités exclusives…

Mauvais sang

Il fallait s’y attendre : émasculé, chassé des vestiaires de rugby, Ouranos (le Ciel) veut sa revanche. Il a promis à ses fils de lui faire payer son humiliation. Rappelez-vous : Cronos avait balancer le paquet géniteur dans Pontos (le Flot marin). Au moment du lancer-franc, des gouttes de sang étaient tombées sur terre, donnant naissance à trois types de personnages. Et pas des marrants ! D’abord les Erinyes, divinités de la vengeance familiale, spécialisées dans le crime consanguin. Ensuite les Géants, des monstres guerriers qui ne connaissent que l’âge adulte (jamais jeunes, jamais vieux). Enfin les Méliades, nymphes des frênes, guerrières elles aussi, dont les lances sont fabriquées avec le bois des arbres qu’elles habitent.

Trois types de personnages qui incarnent donc la violence (que les Grecs nomment Eris), la vengeance, le châtiment, le combat, la guerre, le massacre, le zigouillage généralisé. Bref, ça va chier !

En ordre de bataille

Le sexe, toujours le sexe chez les Grecs (je les aime bien, ces Grecs) ! Celui d’Ouranos, jeté à la mer, fait la planche. Surnage en quête de conquêtes. Et son sperme finit par se mélanger à l’écume du Flot marin pour donner naissance à une créature de rêve : Aphrodite. Laquelle navigue un temps avant d’accoster sur une île, Chypre. De ses pas sur le sable naissent les fleurs les plus belles et les plus odorantes. Dans son sillage, des jumeaux : Eros (l’Amour, celui qui unit des êtres de sexe différent) et Himéros (le Désir).

Ainsi, avec la mère de toutes les émasculations, non seulement l’espace et le temps sont libérés, mais aussi la Querelle familiale (Eris) et l’Amour qui unit le masculin et le féminin (Eros).

Tout est alors en place. Toutes ces forces contraires vont se faire la guerre. Une guerre longue et impitoyable de laquelle surgira le maître de l’Univers.