Le rêve américain de Sergio Leone

On vient de fêter récemment les quarante ans de la sortie en salle de Il était une fois en Amérique, le dernier film de Sergio Léone (il est décédé quelque temps après) qui met en scène la trajectoire d’une bande de gangsters d’origine juive à New York. Pendant près de quatre heure, Leone nous raconte leur ascension et leur chute à trois moments de leur existence : leur enfance et adolescence dans les années 20, l’âge adulte au temps de la prohibition et la vieillesse à la fin des année 60.

Enfance pauvre dans le quartier juif du East End newyorkais, amitiés naissantes, pacte scellé entre cinq gamins de la rue, adolescence délinquante, braquages en tous genres, enrichissement, meurtres, prison, amours contrariées, speakeasy et fumerie d’opium, rêve avorté et finalement trahisons… A travers le destin de cinq personnages (puis quatre, l’un tombant en bas âge sous les balles d’un rival), Leone nous raconte rien de moins que son rêve d’Amérique. Sa structure narrative est complexe, digne des madeleines de Proust. Le temps retrouvé s’y déploie comme un lumineux refuge, dans les noirceurs d’une fin de vie dépouillée de ses illusions de jeunesse. Le regard de Robert De Niro n’a jamais été aussi nostalgique. Et la musique d’Ennio Morricone vous souffle au cœur les images du film pour une toute une vie de spectateur.

En 1984, lorsque le film est sorti, j’avais très exactement 20 ans. Je me gavais de séances de cinéma en tous genres. Je voyais des films pour lesquels je ne me déplacerais plus aujourd’hui, dont j’ai même oublié jusqu’au titre. Mais je n’oublierai jamais Il était une fois en Amérique. C’est un des quatre ou cinq films de ma vie.

A l’occasion de ce quarantième anniversaire, les éditions Sonatine ont judicieusement publié la première traduction française de The Hoods, le roman de Harry Grey dont s’est inspiré Leone pour réaliser son œuvre monumentale.

Et à découvrir le roman dont il est tiré, on ne peut être qu’étonné. Etonné par ce que Leone a fait de ce gros roman sans importance, certes pièce à conviction d’une époque, celle des gangsters de la Prohibition, dont il témoigne de la violence avec beaucoup de réalisme, mais dépourvu du moindre intérêt littéraire et encore moins du souffle lyrique que lui conférera le réalisateur. D’ailleurs, Leone n’a presque rien retenu du bouquin. Il n’en garde que le squelette narratif. Dépouille la trame de presque toutes ses péripéties. En invente d’autres. Et crée un mythe là où il n’y avait qu’une accumulation de faits et de dialogues réalistes.

Comme l’a écrit Jean-Baptiste Toret dans son essai paru aux Cahiers du Cinéma, « Sergio Leone n’a cessé de fantasmer une Amérique mythologique, cinématographique et universelle qui, au fond, n’a jamais existé ailleurs que dans les yeux éblouis du gamin du Trastevere romain. Il était une fois en Amérique raconte cette désillusion ».

« L’Amérique a été le premier amour des Italiens qui ont grandi dans les années 30, déclarait le cinéaste. On oublie jamais un premier amour, même si le point de vue change considérablement par la suite ».

Vision d’une Amérique fantasmée. Souvenir d’un cinéma qui n’existe plus, celui des grands studios, que Léone ébloui découvrait gamin à la sortie de la guerre. Fresque de l’existence, parcourant le long chemin d’un temps révélateur de tout ce qui a été perdu. Et que n’aurait pas renié l’auteur de Gatsby le Magnifique, Francis Scott Fitzgerald : « Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé ».

Kubrick et Ciment

Michel Ciment est mort il y a quelques jours, le 13 novembre 2023, à l’âge de 85 ans. Critique et historien de cinéma, il avait notamment été l’auteur d’un ouvrage consacré à Stanley Kubrick, Kubrick par Kubrick, une authentique référence maintes fois rééditée et augmentée. C’est dire combien il a nourri l’admiration que j’avais pour le cinéaste de 2001 : L’Odyssée de l’Espace.

Je me souviens de cet homme affable et incroyablement cultivé (j’ai vu plusieurs de ses conférences et de ses apparitions à la télévision) qui venait d’une époque où on parlait des films comme on analyse des tableaux ou des romans. Il avait créé le magazine Positif pour contrecarrer le monopole idéologique de la revue à l’origine de laquelle était née la Nouvelle Vague, Les Cahiers du Cinéma. De vraies divergences de vues, allant parfois même jusqu’à l’insulte, opposaient ces deux magazines qui ne s’aimaient pas et, en vrai lecteur passionné de tout ce qui touchait au cinéma, j’avais souvent du mal à pencher pour les opinions de l’une plutôt qu’en faveur de celles de l’autre. C’était en tous cas intellectuellement passionnant. J’ai beaucoup grandi à la lecture de ces magazines. Lesquels m’ont surtout permis d’avoir un point de vue sur le monde, le cinéma étant avant tout une histoire de point de vue.

Aujourd’hui, quand je constate avec effarement combien ont mal vieilli certains films de Jean-Luc Godard ou de François Truffaut (cinéastes phares de la Nouvelle Vague, inattaquables aux yeux des Cahiers), combien ces films ne soutiennent plus la comparaison avec la pérenne pertinence de l’œuvre d’un Stanley Kubrick, je me dis que, vraiment, le plus souvent, c’est Michel Ciment qui avait raison.

Get Back (cinéma)

Quel est le plus grand groupe de l’histoire du rock ? Je sais : c’est le genre de question bateau qui empêche de saborder les croisières sans surprises des languissantes soirées entre amis vieillissants. Mais pour moi, quand on me la pose, au risque de paraître d’une consternante banalité, la réponse est toujours restée la même depuis mon adolescence : The Beatles.

Alors oui, ça aussi je sais : les puristes me rétorqueront qu’en réalité, les Beatles ne sont pas un véritable groupe de rock. Plutôt un groupe pop qui, ils l’admettent toutefois, a ouvert bien des portes que pousseront allègrement les groupes rock qui leur succèderont. Je sais aussi que les Rolling Stones, par leur énergie, leurs prestations scéniques ou leur créativité plus instinctive qu’intellectuelle, devraient être davantage considérés comme LE groupe de référence de l’histoire du rock. Je n’ignore pas non plus qu’il est parfaitement vain de comparer des groupes d’époques différentes, d’établir une hiérarchie entre, pour ne prendre que quelques exemples (mes préférés en l’occurrence) le Led Zeppelin des années 70 (où tout semblait encore possible, musicalement comme politiquement), les Clash des années 80 (ou la rage punk criait sa haine de ce nouveau monde qui peu à peu s’imposait) ou le Radiohead des années 90 (où la mélancolie et la fuite semblent désormais seules capables d’échapper à la destruction annoncée). Bien sûr, je sais tout ça. Mais rien à faire : pour moi, les Beatles demeureront à jamais LE groupe absolu. Parce qu’ils étaient les premiers. Parce qu’ils ont tellement inventé. Et parce que j’avais 14 ans quand ils me sont tombés dessus.

Et voilà qu’ils me retombent sur la mémoire. Grâce à Peter Jackson, seigneur des anneaux, magicien du temps retrouvé, Gandalf de ma nostalgie musicale. Avec Get Back, avec toutes ces heures d’images et de sons enregistrées lors de la mise en boite de Let It Be, remasterisées, remontées, réinventées, rendues à la vie, Jackson nous ressuscite les quatre garçons de Liverpool dans toute leur authenticité collective. A un moment charnière : juste avant qu’ils ne se séparent définitivement. On les découvre au travail, en studio, en pleine création de chansons inoubliables, face aux difficultés d’un projet qu’ils voulaient scénique, face aussi aux tensions qui, immanquablement, seront à l’origine de leur séparation.

C’est à la fois surprenant, magnifique, émouvant, et ça fout un bon coup de balai à toutes les conneries qu’on a pu raconter sur le quatuor magique. Les Beatles ne se supportaient plus, pouvait-on lire dans certains journaux. Ils s’engueulaient, se tapaient dessus, ne formaient plus qu’un amas d’individualités centrifuges, n’entretenaient plus le désir d’être ensemble. Foutaises que tout cela ! Il faut les voir au travail : ils sont vraiment ensemble, ils n’ont rien perdu de leur créativité, ils rient la plupart du temps. Et si les tensions sont bien présentes (George Harrison quittera même un moment le groupe, poussé par un sentiment de frustration), si la présence en permanence de Yoko Ono (la compagne de John Lennon) laisse deviner que le couple est déjà ailleurs, si les divergences de personnalité s’expriment davantage qu’auparavant, les Beatles existent encore et toujours dans une volonté sans cesse affirmée de continuer à être ce qu’ils sont : un groupe. Sans jamais, absolument jamais élever la voix, faisant preuve d’une remarquable lucidité, d’une incroyable maturité.

De Get Back, Paul Mc Cartney sort grandi. C’est un médiateur adulte, respectueux des autres, animé d’un talent fou. Tout comme Ringo Starr, un homme d’une extrême gentillesse en compagnie de qui (dixit Linda Eastman, la petit amie de Mc Cartney qui deviendra sa femme), on se sent toujours bien. Tout comme sortent grandis les Beatles dans leur ensemble qui jamais ne nous auront paru aussi proches. Tout comme les années 60 dont ils auront incarné les espoirs et l’innocence. Tout comme mes souvenirs qui, remontés à la surface, me rappellent combien il était bon, à 14 ans, de découvrir les Beatles.

Films 2020 (cinéma)

De 2020 à 2029, les films qui m'ont marqué, intéressé, amusé, impressionné, ému, bouleversé... enfin, parmi ceux que j'ai vus. Sans aucune hiérarchie. 
  • Mank (2020) David Fincher
  • Get Back (2021) Peter Jackson
  • France (2021) Bruno Dumont
  • Blonde (2022) Andrew Dominik
  • The Good Nurse (2022) Tobias Lindholm
  • Decision To Leave (2022) Park Chan-Wook
  • Triangle of Sadness (2022) Ruben Östlund
  • Close (2022) Lukas Dhont
  • Oppenheimer (2023) Christopher Nolan
  • Anatomie d’une chute (2023) Justine Triet

Films de genres (cinéma)

Longtemps, James Bond me laissa complètement indifférent. Malgré le talent de certains de ses interprètes (à l’évidence Sean Connery, le premier d’entre eux), la perspective de passer deux heures dans une salle de cinéma à suivre les aventures sans surprises d’un agent britannique qui se tapait tout ce qui bougeait et surmontait les épreuves les plus invraisemblables dans un univers de plus en plus factice et gadgetisé nourrissait à chaque nouvel épisode le mépris de ma post-adolescente posture cinéphilique.

Et puis, il y eut Daniel Craig. Ou plutôt, il y eut Sam Mendes et Daniel Craig. En un mot : Skyfall. Pour la première fois, un réalisateur transformait le personnage en un véritable être de chair et de sang. Oublié le playmobil des années 70 (Roger Moore) ou le Ken des années 90 (Pierce Brosnan), James Bond se voyait désormais « incarné » par la grâce d’un cinéaste extrêmement talentueux qui lui offrait ce qui lui manquait depuis toujours pour enfin devenir un homme, un vrai : la fragilité, le doute, les affres du temps qui passe, la nostalgie de l’enfance… Sans déroger pour autant, et de quelle manière, au grand film d’action. Avec en prime une stupéfiante révélation : Daniel Craig, désormais irrésistible, à jamais le meilleur Bond (ça n’engage que moi) dans le smoking seyant de l’agent vieillissant. Spectre, du même réalisateur, allait confirmer avec presque autant de bonheur la salutaire transformation du personnage.

J’attendais donc la sortie de No Time To Die avec impatience, regrettant toutefois que Sam Mendes ne soit plus à la manœuvre. Je suis allé voir le film. Et j’ai été déçu. D’abord par les défauts d’un scénario par trop alambiqué qui nuit au développement de l’action. Ensuite par le déploiement d’une mise en scène achalandant une vitrine de gadgets qui range trop souvent au fond du magasin l’humanité retrouvée du personnage. Enfin, et surtout, parce que je déteste la fin. Non pas que je la trouve ratée (la preuve, elle m’a fait pleurer), mais tout simplement parce que je la trouve détestable en tant qu’elle constitue un symptôme de notre idéologique époque. Une époque qui interdit qu’on puisse désormais concevoir un tel personnage symbolisant, jusqu’à la caricature, la conception qu’on s’est longtemps fait de la masculinité. Cet homme, cet excès de masculin, il faut l’abattre. L’époque doit le tuer pour lui préférer l’hypocrite et tyrannique diversité de la modernité. Désormais, l’agent 007 sera une femme, noire (on peut même présumer qu’elle sera lesbienne et végane). Alors, entendons-nous bien : ce n’est pas le fait qu’elle soit une femme noire (ni qu’elle pourrait être lesbienne et végane) qui me pose problème, c’est le fait qu’il faut qu’elle le soit.

Bref, ce qu’on reproche à Bond, James Bond, c’est de surligner le genre. De brandir sa masculinité. De bander son sexe. Il faut donc s’en débarrasser, tuer cet homme coupable de toutes les infamies misogynes, même déclinées avec humour. Il faut tuer cet homme comme, en réalité, il faut tuer tous les hommes d’hier. Jusqu’à, c’est le projet en cours, abolir les genres. Jusqu’à nier l’état de nature. Cela prendra du temps mais vous verrez, ça viendra.

Un autre film évoque d’ailleurs, par le hasard des sorties en salles, cette obsession actuelle à l’estompement des genres : Titane, Palme d’Or au dernier Festival de Cannes. Ce film, que je n’aime guère, réalisé par Julia Ducournau (une femme, mais ça n’a aucun rapport, rassurez-vous), met en scène un personnage fantasmatique, victime d’un grave accident de voiture lorsqu’elle était enfant, devenue ultra-violente après la pause d’un implant en titane dans son crâne (la réalisatrice pousse sa fascination pour les atteintes faites au corps jusqu’à filmer l’insoutenable), qui se retrouve enceinte après avoir copuler avec… une voiture (!), et qui se fait passer pour un garçon afin de retrouver un père qu’elle a perdu. Je passe les détails. Une fille qui devient autre chose qu’une fille, qui baise avec un mec/bagnole, qui devient ensuite un garçon, qui cache sa grossesse jusqu’à la faire disparaître, qui trouve un père de remplacement bodybuildé… tout concourt à exagérer démesurément les caractéristiques des genres pour mieux ensuite brouiller les frontières qui les séparent. On est franchement du côté du cinéma de David Cronenberg (Crash). C’est très intéressant, on ne peut le nier. C’est aussi très dérangeant. Avec en parallèle, l’autre avatar invétéré de notre épique époque à l’avenir effrayant : le transhumanisme (la plaque de titane qui la transforme).

Et alors là, moi qui ne suis plus de première jeunesse, moi qui aime à séparer les genres, qui aime tant les femmes du temps jadis, celles dont on ne pouvait douter qu’elles en étaient (mon modèle : les actrices italiennes des années cinquante), je me dis que ce monde-là, celui qu’on nous prépare, n’est plus le mien. Mais alors plus du tout. Définitivement.

Mauvais Allen (autobiographie)

Au mois de juin dernier est parue chez Stock la traduction française de l’autobiographie de Woody Allen intitulée Soit dit en passant. Autobiographie qui n’aura finalement été publiée par aucun éditeur aux Etats-Unis.

Aucun éditeur, en effet, n’a accepté de le publier, tous se refusant à prendre le risque de permettre à un « pédophile », si talentueux et célèbre soit-il, de s’exprimer en place publique. Et pour cause : ce sont les censeurs de cette même place publique (les réseaux sociaux, certains médias, la rumeur, bref le puritanisme pervers de la société américaine…) qui ont courageusement décrété d’envoyer sur l’île du Diable ce petit juif de Woody Allen, ignorant le verdict de la justice qui, elle, l’a totalement disculpé des accusations dont il faisait l’objet.

Allen ne subit d’ailleurs pas le seul ostracisme des éditeurs de livres, puisque plus aucun producteur de cinéma ne souhaite désormais financer ses films et nombre d’acteurs ou d’actrices refusent d’y tourner.

Je sais : un artiste se doit, comme tout le monde, de répondre de ses actes devant la justice et son statut particulier ne doit en aucun cas lui permettre d’y échapper. Cela va de soi. Je suis donc d’autant plus à l’aise pour évoquer l’artiste Woody Allen que celui-ci, au contraire de son collègue Roman Polanski, n’a pas fui la justice américaine, laquelle, je le répète, l’a définitivement innocenté. Dans une démocratie digne de ce nom, il ne devrait donc plus y avoir de débat. Et aucune maison d’édition ne devrait avoir le droit d’exercer sa censure.

Mais qui croira encore que c’est la justice qui fait la loi dans ce pays ?

Je devais avoir une petite vingtaine d’années quand pour la première fois j’ai vu des films de Woody Allen. Je me souviens surtout de Annie Hall et de Manhattan, que je viens de revoir avec émerveillement. Je sortais à l’époque d’une adolescence un peu compliquée qui m’avait perclus de doutes, chargé d’un lourd complexe d’infériorité et durablement rempli mes poches d’un fond de désespoir. En découvrant les films de Woody Allen, j’ai rencontré quelqu’un qui me ressemblait. Et qui pouvait, c’était loin d’être mon cas à l’époque, soulever et balancer tout ça au moyen de l’humour et du cinéma. Avec talent, créativité, sensibilité et intelligence. Avec bonheur.

En fait, je pourrais résumer en disant que Woody Allen m’a aidé à vivre.

Je suis aussi issu d’une famille où la culture, le champ culturel, ne constituait pas un milieu naturel. Les parents de mon père étaient des gens de la terre ou des usines, des paysans ou des ouvriers. Lire, écouter de la musique classique ou du jazz, aller au cinéma ou au musée, s’apparentait souvent dans leur esprit à de la fainéantise ou à de la prétention. Comme beaucoup de gens de sa génération née pendant ou juste après la guerre, mon père s’est patiemment extrait de cette destinée familiale en bénéficiant de l’ascenseur social des années 60 et il a progressivement pris la bonne habitude de passer une partie de ses heures de loisir à se cultiver. Toutefois, la culture est longtemps restée pour lui davantage un effort qu’une curiosité, davantage une exigence qu’un plaisir, une route tracée par d’autres, permettant de se hisser à leur niveau, plutôt qu’un chemin personnel. C’est un complexe d’infériorité sociale qui a fait grandir mon père. Dont j’ai hérité à l’adolescence.

Ce complexe, Woody Allen l’a éprouvé aussi au début de sa carrière. Il raconte dans son autobiographie combien la culture lui était restée étrangère toute sa jeunesse. Mais avec Annie Hall ou Manhattan, Allen a fait valdinguer ses doutes en se moquant allègrement du milieu intellectuel new-yorkais dont il souligne avec humour la vacuité et le snobisme. Voir le petit Woody, aussi drôle que désespéré, conscient jusqu’au fou rire de la vanité des choses humaines, mitraillant ses répliques hilarantes plus vite que les sous-titres, le voir se foutre de ces pédants citadins pérorant sur tout et n’importe quoi m’a permis, moi aussi, de croire que c’était possible. Que le monde n’appartenait pas qu’à eux, que je pouvais y tenir ma place.

Oui, les films de Woody Allen m’ont aidé à vivre. Ils m’ont aidé à affronter l’angoisse du temps qui passe (Annie Hall, Manhattan, Hannah et ses sœurs), ou la peur de ne pas être aimé (Zelig). A conjurer la misère du réel (La Rose pourpre du Caire), la foire aux vanités (Stardust Memories, Celibrity), les travestissements du désir (Comédie érotique d’une nuit d’été, Maris et femmes, Match Point, Vicky Christina Barcelona), à balayer la paix des surfaces pour faire surgir les tourments des profondeurs (Intérieurs, September, Another Woman). Woody Allen a réussi tout ça, comme seul un grand artiste peut le faire.

Et rien que pour ça, ça valait la peine d’acheter son autobiographie.

Films 1964 (cinéma)

De 1964 à 1969, les films qui m'ont marqué, intéressé, amusé, impressionné, ému, bouleversé... enfin, parmi ceux que j'ai vus. Sans aucune hiérarchie.
  • 8 1/2 (mai 1963) Federico Fellini
  • Le Guépard (juin 1963) Luchino Visconti
  • Le Mépris (décembre 1963) Jean-Luc Godard
  • Docteur Folamour (1964) Stanley Kubrick
  • L’Homme de Rio (1964) Philippe De Broca
  • Mariage à l’italienne (1964) Vittorio De Sica
  • Répulsion (1965) Roman Polanski
  • Cul-de-sac (1966) Roman Polanski
  • La Grande Vadrouille (1966) Gérard Oury
  • Persona (1966) Ingmar Bergman
  • Belle de jour (1967) Luis Bunuel
  • Bonnie and Clyde (1967) Arthur Penn
  • Le Livre de la jungle (1967) Walt Disney
  • 2001, l’Odyssée de l’Espace (1968) Stanley Kubrick
  • Il était une fois dans l’Ouest (1968) Sergio Leone
  • Rosemary’s Baby (1968) Roman Polanski
  • The Party (1968) Blake Edwards
  • La Femme infidèle (1969) Claude Chabrol
  • L’Armée des Ombres (1969) Jean-Pierre Melville
  • Macadam Cowboy (1969) John Schlesinger

Le racisme d’Alan Parker (cinéma)

Le cinéaste Alan Parker est décédé le 31 juillet dernier à l’âge de 76 ans. Il venait de la publicité, comme ses compatriotes Ridley Scott, Tony Scott ou Hugh Hudson, et s’était rendu célèbre dès la fin des années 70 avec Midnight Express, un film devenu culte, pourtant authentiquement raciste.

Inspiré de l’histoire de William Hayes, Midnight Express raconte, en prenant beaucoup de liberté avec la réalité des faits, la tragique mésaventure d’un jeune américain emprisonné en Turquie, jugé d’abord pour possession puis pour trafic de drogue.

Aujourd’hui, en renvoyant le film, au-delà de son esthétique tape-à-l’œil, de sa psychologique simpliste ou de son sensationnalisme publicitaire, on reste abasourdi par la manière de décrire, bien au-delà de son régime politique et carcéral éminemment contestable, l’ensemble de la société turque, de ses mœurs, de ses habitudes, de ses croyances religieuses. Istanbul y est décrit comme un cloaque. Aidé dans son entreprise par Oliver Stone, son scénariste de l’époque, Alan Parker filme les Turcs comme autant de barbares. Brutaux , sales et ignorants.

Le racisme de Midnight Express sera à l’origine de tensions diplomatiques et contribuera à une sensible baisse de fréquentation des touristes occidentaux en Turquie. Il sera néanmoins sélectionné au Festival de Cannes, remportera 4 Bafta britanniques, 6 Golden Globes et 2 Oscars. Ce qui semble parfaitement inimaginable aujourd’hui…

Invité à plusieurs reprises à s’expliquer, Alan Parker refusera toujours de s’excuser, à l’inverse de William Hayes qui se désolidarisera de la manière dont est représentée la Turquie dans le film.

Au moment où certains déboulonnent des statues de Christophe Colomb, où d’autres voudraient interdire toute nouvelle diffusion de Autant en emporte le vent, où d’autres encore changent le titre d’un roman d’Agatha Christie, en ces heures où la moindre velléité à l’égard de la politique d’Israël se voit taxée d’antisémitisme, bref en ces temps où l’indispensable respect de chaque communauté humaine conduit parfois jusqu’à l’absurde, il est surprenant de constater que la disparition d’Alan Parker n’ait guère suscité le débat qu’elle méritait au sujet d’un film dont son auteur et son scénariste faisaient dire à leur personnage principal : « Pour une nation de porcs, c’est drôle que personne chez vous n’en consomme(…) Je hais les Turcs, je hais votre nation, je hais votre peuple, et je baise vos fils et vos filles, parce que ce sont des porcs. Vous êtes des porcs. Tous des porcs. »

Films 1970 (cinéma)

De 1970 à 1979, les films qui m'ont marqué, intéressé, amusé, impressionné, ému, bouleversé... enfin, parmi ceux que j'ai vus. Sans aucune hiérarchie.
  • Les Choses de la vie (1970) Claude Sautet
  • Little Big Man (1971) Arthur Penn
  • Mort à Venise (1971) Luchino Visconti
  • Orange Mécanique (1971) Stanley Kubrick
  • Délivrance (1972) John Boorman
  • Fellini-Roma (1972) Federico Fellini
  • Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) Luis Bunuel
  • Le Dernier Tango à Paris (1972) Bernardo Bertollucci
  • Le Parrain (1972) Francis Ford Coppola
  • Nous ne vieillirons pas ensemble (1972) Maurice Pialat
  • Amarcord (1973) Federico Fellini
  • Badlands (1973) Terrence Malick
  • La Grande Bouffe (1973) Marco Ferreri
  • La Nuit américaine (1973) François Truffaut
  • Les Noces rouges (1973) Claude Chabrol
  • Mean Streets (1973) Martin Scorsese
  • Chinatown (1974) Roman Polanski
  • Le Parrain II (1974) Francis Ford Coppola
  • Stavisky (1974) Alain Resnais
  • Une femme sous influence (1974) John Cassavetes
  • Barry Lyndon (1975) Stanley Kubrick
  • Sacré Graal (1975) The Monty Python
  • 1900 (1976) Bernardo Bertollucci
  • Affreux, sales et méchants (1976) Ettore Scola
  • Annie Hall (1976) Woody Allen
  • Eraserhead (1976) David Lynch
  • Le Juge et l’Assassin (1976) Bertrand Tavernier
  • Le Locataire (1976) Roman Polanski
  • M. Klein (1976) Joseph Losey
  • Taxi Driver (1976) Martin Scorsese
  • Vol au-dessus d’un nid de coucou (1976) Milos Forman
  • L’argent de poche (1977) François Truffaut
  • L’homme qui aimait les femmes (1977) François Truffaut
  • Une journée particulière (1977) Ettore Scola
  • The Deer Hunter (1978) Michael Cimino
  • Violette Nozière (1978) Claude Chabrol
  • Apocalypse Now (1979) Francis Ford Coppola
  • Buffet froid (1979) Bertrand Blier
  • Days of Heaven (1979) Terrence Malick
  • Les Bronzés font du ski (1979) Patrice Leconte
  • Manhattan (1979) Woody Allen
  • Tess (1979) Roman Polanski

Films 1980

De 1980 à 1989, les films qui m'ont marqué, intéressé, amusé, impressionné, ému, bouleversé... enfin, parmi ceux que j'ai vus. Sans aucune hiérarchie.
  • Elephant Man (1980) David Lynch
  • Heaven’s Gate (1980) Michael Cimino
  • Mon Oncle d’Amérique (1980) Alain Resnais
  • Raging Bull (1980) Martin Scorsese
  • Shining (1980) Stanley Kubrick
  • Coup de Torchon (1981) Bertrand Tavernier
  • Reds (1981) Warren Beatty
  • E.T. l’extra-terrestre (1982) Steven Spielberg
  • Fanny et Alexandre (1982) Ingmar Bergman
  • Le Père Noël est une ordure (1982) Jean-Marie Poiré
  • A nos amours (1983) Maurice Pialat
  • E la nave va (1983) Federico Fellini
  • Furyo (1983) Naghisa Oshima
  • La Ballade de Narayama (1983) Shohei Immamura
  • Rumble Fish (1983) Francis Ford Coppola
  • Scarface (1983) Brian De Palma
  • Zelig (1983) Woody Allen
  • Amadeus (1984) Milos Forman
  • Il était une fois en Amérique (1984) Sergio Leone
  • Paris, Texas (1984) Wim Wenders
  • Top Secret (1984) Jim Abrahams & Jerry Zucker
  • Brazil (1985) Terry Gilliam
  • L’Année du dragon (1985) Michael Cimino
  • Ran (1985) Akira Kurosawa
  • Blue Velvet (1986) David Lynch
  • Hannah et ses soeurs (1986) Woody Allen
  • La Mouche (1986) David Cronenberg
  • Mauvais sang (1986) Leos Carax
  • Full Metal Jacket (1987) Stanley Kubrick
  • Le Dernier empereur (1987) Bernardo Bertollucci
  • Bird (1988) Clint Eastwood
  • Faux-semblants (1988) David Cronenberg
  • Une affaire de femmes (1988) Claude Chabrol
  • Crimes et Délits (1989) Woody Allen
  • Do The Right Thing (1989) Spike Lee
  • Le Temps des Gitans (1989) Emir Kusturica