« Une crapule de génie ». Jean Teulé nous brosse, à sa jouissive manière, le portrait de Charles Baudelaire. Qui fut le premier des poètes à avoir craché au visage de la société de son époque la face cachée de l’existence, l’horreur de certaines turpitudes humaines ou la tragédie sans lyrisme du temps qui passe et détruit tout. Ce qui rend son œuvre inégalable. Mais ce qui n’empêche pas, et l’humour punk de Teulé s’attache à nous en faire la démonstration, que l’homme était une authentique saloperie.
Un sale type, ce Baudelaire. Candidat de première ligne pour la « cancel culture » de notre formidable époque. Dandy méprisant, haineux du genre humain, provocateur impitoyable, misogyne, érotomane, suçant comme un vampire l’argent de sa mère pour avaler des quantités invraisemblables d’opium, aimanté par le sordide qu’il digérât avec délectation pour le chier sur l’hypocrisie bourgeoise de ses contemporains. Un sale type oui, mais un génie. Sans pareil pour mettre en terrible musique notre ennui, notre impuissance, notre insignifiance, notre bassesse, nos déchéances, nos destins tragiques de futures charognes.
Un sale type. Un génie. Qui si bien a su décrire le Spleen :
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. - Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.