Films de genres (cinéma)

Longtemps, James Bond me laissa complètement indifférent. Malgré le talent de certains de ses interprètes (à l’évidence Sean Connery, le premier d’entre eux), la perspective de passer deux heures dans une salle de cinéma à suivre les aventures sans surprises d’un agent britannique qui se tapait tout ce qui bougeait et surmontait les épreuves les plus invraisemblables dans un univers de plus en plus factice et gadgetisé nourrissait à chaque nouvel épisode le mépris de ma post-adolescente posture cinéphilique.

Et puis, il y eut Daniel Craig. Ou plutôt, il y eut Sam Mendes et Daniel Craig. En un mot : Skyfall. Pour la première fois, un réalisateur transformait le personnage en un véritable être de chair et de sang. Oublié le playmobil des années 70 (Roger Moore) ou le Ken des années 90 (Pierce Brosnan), James Bond se voyait désormais « incarné » par la grâce d’un cinéaste extrêmement talentueux qui lui offrait ce qui lui manquait depuis toujours pour enfin devenir un homme, un vrai : la fragilité, le doute, les affres du temps qui passe, la nostalgie de l’enfance… Sans déroger pour autant, et de quelle manière, au grand film d’action. Avec en prime une stupéfiante révélation : Daniel Craig, désormais irrésistible, à jamais le meilleur Bond (ça n’engage que moi) dans le smoking seyant de l’agent vieillissant. Spectre, du même réalisateur, allait confirmer avec presque autant de bonheur la salutaire transformation du personnage.

J’attendais donc la sortie de No Time To Die avec impatience, regrettant toutefois que Sam Mendes ne soit plus à la manœuvre. Je suis allé voir le film. Et j’ai été déçu. D’abord par les défauts d’un scénario par trop alambiqué qui nuit au développement de l’action. Ensuite par le déploiement d’une mise en scène achalandant une vitrine de gadgets qui range trop souvent au fond du magasin l’humanité retrouvée du personnage. Enfin, et surtout, parce que je déteste la fin. Non pas que je la trouve ratée (la preuve, elle m’a fait pleurer), mais tout simplement parce que je la trouve détestable en tant qu’elle constitue un symptôme de notre idéologique époque. Une époque qui interdit qu’on puisse désormais concevoir un tel personnage symbolisant, jusqu’à la caricature, la conception qu’on s’est longtemps fait de la masculinité. Cet homme, cet excès de masculin, il faut l’abattre. L’époque doit le tuer pour lui préférer l’hypocrite et tyrannique diversité de la modernité. Désormais, l’agent 007 sera une femme, noire (on peut même présumer qu’elle sera lesbienne et végane). Alors, entendons-nous bien : ce n’est pas le fait qu’elle soit une femme noire (ni qu’elle pourrait être lesbienne et végane) qui me pose problème, c’est le fait qu’il faut qu’elle le soit.

Bref, ce qu’on reproche à Bond, James Bond, c’est de surligner le genre. De brandir sa masculinité. De bander son sexe. Il faut donc s’en débarrasser, tuer cet homme coupable de toutes les infamies misogynes, même déclinées avec humour. Il faut tuer cet homme comme, en réalité, il faut tuer tous les hommes d’hier. Jusqu’à, c’est le projet en cours, abolir les genres. Jusqu’à nier l’état de nature. Cela prendra du temps mais vous verrez, ça viendra.

Un autre film évoque d’ailleurs, par le hasard des sorties en salles, cette obsession actuelle à l’estompement des genres : Titane, Palme d’Or au dernier Festival de Cannes. Ce film, que je n’aime guère, réalisé par Julia Ducournau (une femme, mais ça n’a aucun rapport, rassurez-vous), met en scène un personnage fantasmatique, victime d’un grave accident de voiture lorsqu’elle était enfant, devenue ultra-violente après la pause d’un implant en titane dans son crâne (la réalisatrice pousse sa fascination pour les atteintes faites au corps jusqu’à filmer l’insoutenable), qui se retrouve enceinte après avoir copuler avec… une voiture (!), et qui se fait passer pour un garçon afin de retrouver un père qu’elle a perdu. Je passe les détails. Une fille qui devient autre chose qu’une fille, qui baise avec un mec/bagnole, qui devient ensuite un garçon, qui cache sa grossesse jusqu’à la faire disparaître, qui trouve un père de remplacement bodybuildé… tout concourt à exagérer démesurément les caractéristiques des genres pour mieux ensuite brouiller les frontières qui les séparent. On est franchement du côté du cinéma de David Cronenberg (Crash). C’est très intéressant, on ne peut le nier. C’est aussi très dérangeant. Avec en parallèle, l’autre avatar invétéré de notre épique époque à l’avenir effrayant : le transhumanisme (la plaque de titane qui la transforme).

Et alors là, moi qui ne suis plus de première jeunesse, moi qui aime à séparer les genres, qui aime tant les femmes du temps jadis, celles dont on ne pouvait douter qu’elles en étaient (mon modèle : les actrices italiennes des années cinquante), je me dis que ce monde-là, celui qu’on nous prépare, n’est plus le mien. Mais alors plus du tout. Définitivement.

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