La guerre des dieux

Sur les montagnes les plus élevées de la terre s’installent les premiers dieux, les Titans. Cronos, rusé, fourbe et cruel, est à leur tête. S’il a libéré l’espace et le temps à son insu, il n’en est pas moins détesté. Et un jour, il finira par le payer.

Soucieux de son pouvoir, craignant qu’on ne le lui prenne, Cronos a enchaîné les trois Cyclopes et les trois Hékatonchires dans le Tartare. En revanche, il a des alliés : ses frères et sœurs Titans (l’écriture inclusive me paraît ici franchement anachronique). Et tout particulièrement Rhéa (le tableau ci-dessous, extrêmement exhaustif, permet d’y voir plus clair dans la généalogie à l’œuvre. Ou pas…)

Cronos le cannibale

Chez ces divinités primordiales (disons même primitives), l’inceste est monnaie courante (mais à bien y réfléchir, n’en sommes-nous pas tous des descendants ?) Cronos et Rhéa, frère et sœur, bravent ainsi ce qui n’est pas encore un interdit humain (lequel « fonde et structure toute société », dixit Lévi-Strauss), jusqu’à concevoir des enfants. Mais loin de se réjouir de devenir papa, Cronos se méfie comme de la peste de sa progéniture (le pouvoir, toujours le pouvoir). D’autant que Gaïa, sa mère rappelons-le, qui connaît l’avenir comme personne, l’avertit qu’il sera un jour la victime de sa descendance…

Cronos, bouffi de haine, n’envisage alors rien d’autre que d’embrasser la carrière d’un cannibale infanticide : chaque fois que Rhéa met au monde, il passe à table ! Et son ventre d’emprisonner ainsi l’ensemble de ses enfants. Ce qui, il fallait s’y attendre, finit par mettre sa femme hors d’elle-même. Sur les conseils de Gaïa, véritable agent-double, mue par un élan précoce de solidarité féministe (il est vrai que la pauvre connut jadis pareille situation), Rhéa s’en va accoucher clandestinement en Crète de son dernier enfant. Son nom : Zeus, future star de la série en cours.

Cronos dévorant un de ses enfants, Francisco Goya

Rhéa va confier le petit aux Naïades, douces nymphes aquatiques qui vont se charger de son éducation, planqué au fond d’une grotte. Pour couvrir les cris du bébé et éviter ainsi d’alerter l’appétit de Cronos, Rhéa s’en remet aux Courètes, sorte de rappeurs de l’époque, chargés de se livrer à de bruyantes danses guerrières sur le pas de la grotte. Mais comment faire avaler à Cronos la disparition de sa dernière descendance ? Grâce à une pierre. Une pierre que Rhéa enrobe de langes pour tromper son mari. Ainsi, le bide paternel jamais rassasié renferme les unes sur les autres toutes les générations de ses enfants avec, tout au-dessus, une pierre à la place de Zeus.

La vengeance de Zeus

Devenu grand, Zeus va se venger (ce sera une constante chez ces dieux grecs). Venger ses frères et sœurs emprisonnés. Venger son grand-père Ouranos émasculé. Mais pas par la force. Par la ruse, comme sa mère. Conseillé par Mètis, déesse de la prudence et de la ruse, qui par ailleurs est devenue sa femme, Zeus parvient à faire porter à Cronos un pharmacon (médicament) que l’ogre pense être bénéfique alors qu’il n’est en réalité qu’un vomitif. Et Cronos de littéralement dégueuler ses gosses : d’abord la pierre puis Hestia, la plus jeune, puis les autres qui tous ainsi renaissent.

La guerre des dieux peut alors commencer. Elle durera très, très, très longtemps…

D’un côté, Cronos et les Titans. De l’autre, Zeus et les Cronides (enfants de Cronos) ou Olympiens (ils habitent l’Olympe, plus haute montagne de la terre). Le vainqueur sera celui qui, bien davantage que de sa force, aura surtout su faire usage de sa mètis, sa subtile intelligence.

Pour l’emporter, Gaïa recommande à Zeus de rallier à lui les Cyclopes et les Hécatonchires (enchaînés dans le Tartare par Cronos). Bref, vaincre le désordre par le désordre. Rien ne vaut les conseils d’une grand-mère. En bon petit gars, Zeus parvient d’abord à libérer Cyclopes et Cent-Bras puis à les convaincre. Comment ? En leur promettant le nectar et l’ambroisie, boisson et nourriture qui rendent immortel. De quoi leur permettre d’accéder au statut de divinités véritables, comme les Titans. Et obtenir la victoire finale à leur dépens.

Pensez donc : avec l’œil du Cyclope qui foudroie et la puissance des Cent-bras, Zeus devient absolument invincible. Non sans mal. Car au plus fort de la bataille, le monde revient comme à l’état primordial : les montagnes s’écroulent, des crevasses s’ouvrent, le ciel retombe même sur la terre. La tempête avant le retour au calme. La victoire finale de Zeus sur son père marquera donc avant tout celle de l’ordre sur le chaos.

Foudroyés par les Cyclopes, écrasés par les Cent-Bras, les Titans sont emmenés dans le monde souterrain. Et Poséidon, frère de Zeus et dieu des mers, est chargé d’élever un triple mur d’airain à l’entrée du Tartare pour qu’ils n’en sortent plus jamais.

Zeus, roi des dieux, est désormais le maître du monde.