La plus secrète mémoire des hommes (roman)

Prix Goncourt 2021, le roman de Mohamed Mbougar Sarr, malgré son exigence, parvient à fasciner son lecteur comme le ferait un voyage au cœur des ténèbres. L’Afrique, la sensualité de ses femmes, la littérature, l’écriture et la vie mêlée, une enquête sur un écrivain sénégalais disparu, un roman mythique et ultime dont la lecture à jamais vous bouleverse… Et des fulgurances dignes d’un grand roman.

Nous écrivions parce que nous ne savions rien, nous écrivions pour dire que nous ne savions plus ce qu’il fallait faire au monde, sinon écrire, sans espoir mais sans résignation facile, avec obstination et épuisement et joie, dans le seul but de finir le mieux possible, c’est-à-dire les yeux ouverts (…)

Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète histoire des hommes, Philippe Rey, 2021.

J’entends quelquefois dire qu’il faut rester fidèle à l’enfant qu’on a été. C’est la plus vaine ou funeste ambition qu’on puisse avoir au monde. Voilà un conseil que je ne donnerai jamais. L’enfant qu’on a été jettera toujours un regard déçu ou cruel sur ce qu’il est devenu adulte, même si cet adulte a réalisé son rêve. Cela ne signifie pas que l’âge adulte soit par nature damné ou truqué. Simplement, rien ne correspond jamais à un idéal ou un rêve d’enfance vécu dans sa candide intensité. Devenir adulte est toujours une infidélité qu’on fait à nos tendres années. Mais là est la beauté de l’enfance : elle existe pour être trahie, et cette trahison est la naissance de la nostalgie, le seul sentiment qui permette, un jour peut-être, à l’extrémité de la vie, de retrouver la pureté de jeunesse.

Idem.

Au fond, qui était Elimane ? Le produit le plus aboutit et le plus tragique de la colonisation. Il était la réussite la plus éclatante de cette entreprise (…) Mais Elimane symbolisait aussi ce que cette même colonisation avait détruit avec son horreur naturelle chez les peuples qui l’avaient subie. Elimane voulait devenir blanc, et on lui a rappelé que non seulement il ne l’était pas, mais encore qu’il ne le deviendrait jamais malgré tout son talent (…) La colonisation sème chez les colonisés la désolation, la mort, le chaos. Mais elle sème aussi en eux – et c’est sa réussite la plus diabolique – le désir de devenir ce qui les détruit.

Idem.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.