Le bonheur est à nier

Dans Philosophie Magazine, André-Comte Sponville nous donne son étonnante recette pour éviter une vie de malheur : si vous voulez vivre heureux, oubliez le bonheur ! Avec pour boussole d’une existence bien menée, la lucidité.

Les tragiques grecs avaient bien saisi que l’être humain n’est pas fait pour le bonheur ou la réussite, et c’est aussi une leçon de Pascal lorsqu’il écrit  » Nous ne vivons jamais, nous espérons de vivre; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais »(…) Pascal est surtout quelqu’un de lucide sur la condition humaine : nous sommes incapables d’être heureux – c’est ce qu’il appelle la misère de l’homme – et nous faisons tout pour l’oublier – c’est ce qu’il appelle le divertissement. Cela n’empêche pas d’aimer la vie (…) Victor Hugo écrit joliment : « la mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. Il y a une forme de tristesse que nous recevons tous en partage, et qui n’est pas pathologique : elle est liée au tragique de notre condition.

André Comte-Sponville, Philosophie Magazine, Juillet-Août 22.

Si, dès que vous sentez poindre l’angoisse ou la mélancolie, vous téléphonez à une ami, vous allumez la télé, vous prenez de l’alcool ou un anxiolytique, cela signifie que vous refusez de vous confronter au tragique de la condition humaine. Vous vous donnez un tourbillon d’occupations pour oublier le peu que vous êtes et le rien qui vous attend. Cela relève de la fuite, de la facilité, voire du mensonge.

Idem.

La lucidité n’est rien d’autre que l’amour de la vérité, y compris lorsque celle-ci est désagréable.

Idem.

L’erreur est de considérer, quand la vie ne correspond pas à nos espoirs, que c’est la vie qui a tort. Mais la vie fait ce qu’elle peut. Quand elle ne correspond pas à nos espoirs, c’est-à-dire presque toujours, ce n’est pas la vie qui a tort, ce sont nos espoirs qui sont vains, mensongers, illusoires. Bref, il faut apprendre à aimer la vie telle qu’elle est (…) Mais je ne fais pas là l’apologie du fatalisme, bien au contraire, mais de la lucidité. Elle seule permet l’action efficace.

Idem.

Si cette vie est la seule que nous ayons, s’il n’y a rien à espérer après la mort, alors nous avons toutes les raisons d’essayer de la vivre au mieux. Cela me rappelle un slogan que l’on voyait sur les murs en 1968 : « Il y a une vie avant la mort. » C’est une sacrée leçon, et cela résume mon point de rupture avec le christianisme.

Idem.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.