Un Corps tropical (roman)

Il y a des romans, singuliers, dont on ne sait, quand on en entame la lecture, si on ira jusqu’au bout, et qui, progressivement, insidieusement, s’impose à vous par la cohérence de leur style et le pouvoir d’attraction de leur intrigue. C’est le cas d’Un Corps Tropical qui, à travers un voyage au bout des illusions tropicales, confronte une réalité de plus en plus sordide et terrifiante aux fantasmes nantis d’un naïf occidental. Certainement un des meilleurs Prix Rossel de ces dernières années.

Elle a dit que nous étions tous Klaus Kinski, les étrangers qui venions dans ce coin du monde. Que les Européens étaient tous des Fitzcarraldo et qu’ils ne s’en rendaient même pas compte. Que notre imaginaire colonial suintaient par tous les pores de notre peau et qu’il sentait plus fort que la sueur la plus âcre. Elle a dit que nous débarquions là avec nos rêves de jungle, d’oiseaux colorés et de corps bruns dénudés chassant à la sarbacane, avec à la bouche le mot Amazone ! Amazone ! Amazone ! qui en coulait comme de la bave, comme l’humeur visqueuse de notre mégalomanie. Le fleuve, le fleuve ! la forêt ! nous n’avions que ça aux lèvres, mais nous rêvions de choses qui n’existent pas et nous venions avec notre argent pour obliger les gens d’ici à se conformer à nos fantasmes, à se détruire pour faire qu’un bateau escalade une colline. Si ça, ce n’est pas colonial, a-t-elle dit, qu’est-ce que c’est ?

La forêt et le fleuve, a-t-elle repris, c’est la misère.

Philippe Marczewski, Un Corps tropical, Inculte, 2021.

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