Zeus’ Family (3) : Héra et Apollon

Zeus a distribué à chacun des membres éminents de sa famille un rôle très particulier. De quoi dresser quelques portraits choisis…

Les cornes d’Héra

Dieu de la lumière, des arts, des devins et des prophètes, Apollon est né, comme sa jumelle Artémis, sur un îlot aride, écrasé par le soleil, là où leur mère Leto avait trouvé refuge. Si la déesse de la nuit s’est retrouvée sur ce caillou au milieu de nulle part, seule pour mettre ses jumeaux au monde, c’est à cause de Zeus. Encore et toujours Zeus. Enceinte de ce cavaleur impénitent, Léto va en effet être l’objet de la vengeance d’Héra, épouse officielle de Zeus, la plus grande de toutes les déesses, garante intransigeante de l’institution du mariage. En particulier du sien. L’adultère, Héra déteste ça. Bien plus encore, et on la comprend, quand elle en est la victime. Elle sait alors se montrer impitoyable envers celles qui s’aventurent à copuler avec son mari comme envers leurs « détestables bâtards ».

Trompée à nouveau, après tant et tant d’infidélités conjugales, Héra enrage. Elle veut sa vengeance. Menace de terribles représailles ceux ou celles qui s’aventureraient à offrir un asile à sa rivale. Et lance aux trousses de Léto un monstre marin, énorme serpent nommé Python. Rejetée par tous, assaillie par le monstre, Léto erre de ville en ville, désespérée. Aucune porte ne daigne s’ouvrir devant sa détresse. C’est ainsi que Léto finira par débarquer sur une petit île de la mer Egée, Astéria, à l’exact endroit où sa sœur (Astéria, précisément), elle-même objet de l’insatiable appétit sexuel de Zeus, se jeta jadis dans la mer pour échapper au satyre.

Apollon, pile et face

Sept jours après sa naissance, Apollon a déjà le charisme d’un Brad Pitt et la force d’un Mike Tyson. Qui a dit que la vie était injuste ? Ses conquêtes amoureuses seront innombrables (féminines comme masculines), ses victoires au combat glorieuses. En guise de cadeau de naissance, Zeus lui offre une lyre, un char tiré par des cygnes surpuissants et un arc à flèches. Ainsi équipé, gonflé d’orgueil, de fougue et de besoin d’indépendance, Apollon part en quête d’un endroit où établir son temple après s’être fixé une mission : révéler aux mortels le destin que Zeus leur a choisi.

Inexpérimenté, entraîné par ses cygnes dont il ne maîtrise pas encore la conduite, Apollon se retrouve sans le vouloir tout au nord du monde, dans une contrée magique, ruisselante d’or, où les habitants, les Hyperboréens, sont riches et jamais ne vieillissent. Il y a pire comme destination. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. L’éphèbe y demeure une année entière, passe du bon temps en vrai jet-setteur, pour ensuite reprendre la route. Après une étape auprès d’une jolie nymphe qui, on l’apprendra par la suite, va lui tendre un piège, Apollon se retrouve au pied du Mont Parnasse, au centre de la Grèce. L’endroit semble parfait pour y construire son temple. Mais à peine a-t-il découvert le site que le piège se referme et qu’une vieille et terrible connaissance vient lui casser l’ambiance : Python ! Le combat est inévitable. Ultra-violent. Mais le triomphe d’Apollon, archer émérite, sera total.

Reste qu’Apollon, en tuant le gigantesque rampant, s’est fait une nouvelle ennemie : Gaïa, qui a donné naissance à Python. Gaïa s’en plaint auprès de Zeus. Lequel conseille à son fils de faire amende honorable. Et Apollon, aussi brutal que magnanime, s’exécute en créant à la mémoire de son adversaire vaincu les jeux pythiques, cérémonies sportives et religieuses. Déguisé en dauphin, il sauvera ensuite l’équipage d’un vaisseau crétois, les initiera aux secrets divins et les élèvera au rang de prêtres attachés à son temple.

Au pied du Mont Parnasse où il vient d’établir son sanctuaire, il nomme l’endroit Delphes (delphis signifie dauphin en grec, sous l’apparence duquel il s’est présenté aux marins). Et sur son fronton, Apollon fait graver une formule que Socrate fera sienne et érigera en précepte majeur de la pensée occidentale : connais-toi toi-même. Des quatre coins du monde, on viendra consulter l’oracle de Delphes afin de connaître le sort que les Dieux ont réservé à chacun des mortels.

Apollon est alors au faîte de sa gloire. Tous le vénèrent. Mais comme on s’en est déjà aperçu, le mythique Brad Pitt a sa part d’ombre. S’il joue de sa lyre pour enchanter les hommes, son archer leur rend la vie impossible. Le poète se révèle souvent violent et sanguinaire. Niobé, reine de Thèbes, pour avoir ouvertement moqué Léto, le découvrira à ses dépends : déterminé à venger sa mère insultée, Appolon tuera sans état d’âme chacun des quatorze enfants de Niobé.

Il en fera de même avec l’une de ses nombreuses conquêtes qu’il a mis enceinte, Coronis. Apprenant que celle-ci l’a trompé, Apollon la tuera et tuera son amant. Mais il sauvera l’enfant de Coronis, dont il est le père. Cet enfant, Asclépios, aura un destin peu ordinaire : devenu génie de la médecine, il parviendra à trouver un remède pour ressusciter les morts, rien que ça. Et rendra vie à bon nombre de locataires des enfers. De quoi rendre furieux Hadès qui voit tous ces Lazare l’envoyer bientôt au chômage. Il s’en plaindra auprès de Zeus. Qui tuera Asclépios.

Apollon, une fois encore, va se venger. Son père ayant tué son fils, il s’en prend aux Cyclopes, alliés de Zeus. Tous sans exception seront massacrés. Cette fois c’en est assez ! Il faut mettre un terme aux agissements de ce dieu devenu incontrôlable. Zeus pense d’abord l’envoyer définitivement dans le Tartare. Mais gagné par les supplications de Léto, Zeus réduit la peine infligée à Apollon : pendant une année entière, il deviendra l’esclave d’un mortel, le berger d’un roi.

Tout est tragique dans le destin d’Apollon. Tant d’amours déçues (la plus célèbre est la nymphe Daphné dont il tombera amoureux fou sans jamais que ce sentiment ne soit partagé), tant de vengeances punies. On pourrait en raconter tant d’autres. Tout est paradoxe chez ce dieu créateur de lumière, incarnation de la beauté et des arts mais trop souvent gagné par une instinctive noirceur. Ses visages sont multiples. Et plus encore que toutes les autres divinités grecques, c’est ce qui le rend profondément humain. Si proches de l’inconstance des hommes.